Plus qu’inspirante, une visite reboostante !
Parce que la fertilisation décuple leur pouvoir d’agir, les Porte-Voix ont renoué, à l’aube de l’été, avec leur rituel de « visite inspirante ». Ce nouvel épisode nous a conduit à Vierzon pour une journée particulière qui, comme toute « visite inspirante » qui se respecte [clin d’œil à notre précédent embarquement à bord d’un Bateau Ivre en grande forme], ne s’est pas tout à fait déroulée comme prévu. Qu’à cela ne tienne… notre moisson fut si prolifique qu’il serait mal venu de nous plaindre de ces bifurcations !
Ceux pour qui « faire système » vaut mieux que « faire silo »…
16 juin 2023. À l’invitation de Céline Millérioux, chargée de développement de l’Écopôle alimentaire de la Chaponnière, nous mettons le cap sur Vierzon, pour ce que nous croyons être une tranquille découverte des projets de la Régie de territoire C2S Services. En réalité, c’est dans le tourbillon d’un projet de société alternatif « grandeur Nature », que nous allons plonger. Artisane de la coopération sociale et solidaire (comme elle aime à se définir), cette Régie de territoire-là développe une approche systémique de son engagement. Évidemment, par essence, cette « régie » a placé la question de l’insertion sociale et professionnelle au cœur de son action. Et pour la mettre en œuvre, elle multiplie les outils, les dispositifs et les services (propreté, maraîchage, entretien d’espaces verts…).
Mais ce qui fait la différence ici, c’est le mode opératoire, envisagé dans une approche globale, multipartenariale, qui décuple sa capacité à transformer durablement les modèles et les fonctionnements. C’est LA grande leçon que nous allons prendre, à travers cette visite à escales multiples, entre jardins partagés dans les quartiers, et écopôle alimentaire, aux portes de la ville. On vous raconte tout ça sans plus attendre, en commençant par vous présenter l’homme-prodigue qui fut notre guide tout au long de cette mémorable journée : Matthieu Martin !
Chapeau Matthieu !
Un chapeau (de paille) (re)connu de tous, et reconnaissable entre 1000, dans le quartier prioritaire Clos-du-Roy – centre-ville. C’est là qu’officie Matthieu Martin, comme « médiateur jardins et compost » depuis le printemps 2021. Ça c’est surtout pour l’intitulé de sa carte de visite. Car en réalité, ce Porte-Voix est un engagé de la première heure pour qui les jardins partagés sont le levier d’une mécanique bien huilée d’alliances, d’interactions et de coopérations qui, mises bout à bout, peuvent permettre de déplacer des montagnes.
Formé au maraîchage urbain à Bruxelles, Matthieu Martin a choisi, en posant le pied à Vierzon, de remettre tous les compteurs de son savoir-faire à zéro, pour se rendre (hy)perméable aux signaux émis par le territoire et les habitants. Aux antipodes d’une transmission de ses connaissances par ruissellement, Matthieu adopte une posture réflexive, où l’apprentissage se fait ensemble par la synergie des apports de chacun, où l’on considère ses erreurs avec bienveillance, où les échecs sont perçus comme de précieux enseignements, où l’on rebondit sur tout pour aller plus loin et créer des liens fertiles. Entre l’horizontal et le vertical, Matthieu a choisi son camp !
En témoigne l’histoire incroyable de cette femme syrienne, primo-arrivante, qui a fini par donner des leçons de motoculteur à un Matthieu totalement subjugué ! Le temps de réaliser que celle-ci, dans son pays, exerçait la profession d’agricultrice, et qu’une djellaba n’avait rien d’incompatible avec le travail de la terre, et elle rejoignait l’équipe des maraîchers de l’Écopôle (que nous rejoindrons plus tard dans l’après-midi…)
J’apprends toujours des autres
Faire naître des vocations en apprenant ensemble, repérer les possibles maraîchers urbains de demain… à travers les ateliers jardins, Matthieu tisse et facilite les liens. En un sens, c’est un opportuniste, mais un opportuniste pour la bonne cause : celle d’une alimentation bio et durable pour tous.
Maintenant que vous avez une idée plus précise de l’homme qui se cache sous le chapeau, revenons à notre visite inspirante. Ce 16 juin donc, nous avons donc rendez-vous sur les coups de midi avec ce jardinier pas comme les autres, pour un déjeuner en terrasse, exclusivement à base de produits locaux bien entendu ! Une parfaite entrée en matière pour la promenade digestive à suivre, à la découverte de 4 jardins partagés du quartier. Pour cette excursion, nous retrouvons également Valérie Portebois, chargée de mission GUSP (Gestion urbaine et sociale de proximité) à la Ville de Vierzon, ainsi que Lorine Assogbakpé, chargée de mission auprès de l’ANRU, venue prendre le pouls du dispositif « Quartiers fertiles », dont le quartier prioritaire de Vierzon a été désigné lauréat.
Matthieu a donc sélectionné pour nous 4 jardins particulièrement emblématiques, chacun à leur façon, par leur raison d’être, leurs origines, leur histoire, ou leur mode de fonctionnement. Tous différents, mais tous guidés par le même but ultime : s’essayer au jardinage et reprendre le contrôle de son alimentation, de la graine à l’assiette !
Venez ! On vous emmène pour une promenade par procuration, en mots et en images !
Jardin partagé n°1 : le jardin aimant
Installé au pied des immeubles, à la croisée de tous les lieux de sociabilité du quartier Tunnel-Château (centre social, école, services de proximité), le 1er jardin s’affiche comme un espace polarisateur incontournable. On le traverse forcément, on s’y croise assurément, on ne peut pas le manquer. Pour Matthieu, l’emplacement est « i-dé-al » ! Ce jardin-là doit son existence à une enquête auprès des habitants, conduite en 2018, par le Conseil citoyen, avec l’aide de Villes au Carré (déjà !). L’envie d’un jardin partagé était alors ressortie de façon suffisamment récurrente pour qu’on décide de la concrétiser. On a choisi alors le pire emplacement pour la qualité de la terre, mais le meilleur pour la connexion aux habitants ! Un choix plutôt culotté au départ, qui se révélera finalement comme le meilleur. Car ici, chaque contrainte est perçue comme un nouveau stimulateur d’inventivité.
- Le terrain est impropre à la culture ? Qu’à cela ne tienne, on bricole des carrés potagers (où les plants peuvent prendre racine) et on installe des composteurs, fabriqués par C2S Services.
- Le mobilier urbain fait défaut ? On upcycle des palettes pour les transformer en salon de jardin qui invite à faire une pause et se retrouver.
- Des personnes viennent y fumer et abandonnent leurs mégots dans les allées ? Au lieu de les chasser, on décide d’installer des cendriers.
- Les consignes de compostage ne sont pas bien comprises ? On passe des mots aux dessins pour mieux les expliquer et les transmettre.
Et pour attirer plus de curieux et donner des idées de cueillette urbaine, on laisse le jardin délibérément ouvert, sans clôture ni délimitation. Ainsi, groseilles et cassis restent à portée de toutes les (petites) mains curieuses et baladeuses qui passent par ici. Car le plaisir du jardin commence par celui des papilles.
Matthieu s’est donné une règle d’Or : partir des habitants et faire avec les habitants. Ce jardin est un terrain de libre expérimentation pour tester des idées, des outils, et améliorer en continu les pratiques et les usages. On le quitte à regret pour rejoindre la 2e station.
Jardin partagé n°2 : l’autre jardin de curé
Au terme d’une petite marche à travers Tunnel Château, nous atteignons une église en son enclos. Mais en lieu et place de l’habituel cimetière, c’est un jardin potager que nous découvrons. Clos de mur, il tranche avec le jardin précédent par son ordonnancement méticuleux et ses rangées de plantations bien alignées. Ce jardin partagé-là est né dans l’esprit éclairé du curé de la paroisse : un prêtre engagé auprès des populations immigrées et primo-arrivantes. En méditant face au terrain nu disponible autour de son église, une idée a germé : le transformer en jardin nourricier, au bénéfice de populations en difficulté. Et pour passer de la trouvaille au concret de la terre que l’on ensemence, il a pensé à quelqu’un : Matthieu ! Le challenge ici était un peu différent car il s’agissait de produire en quantité suffisante pour nourrir des familles, dans un contexte où chaque euro compte. Et au-delà de cet aspect vital, permettre à ces personnes fragilisées de reprendre confiance en leur capacité à produire quelque chose par et pour elles-mêmes.
Là encore, l’humilité du jardinier est requise pour prendre en considération l’instabilité des publics. Certaines personnes restent un temps, d’autres partent, puis reviennent plus tard. Ces intermittences ne sont pas sanctionnées, elles sont acceptées comme faisant partie du processus de reprise en main de son existence. Le jardin doit rester ouvert aux différentes manières d’être, pour continuer à exister. On y est accueilli avec ses fragilités, ses difficultés. On y récolte plus que des légumes. On y trouve de l’écoute, du réconfort, du soutien et de la compréhension, sans jamais être jugé. C’est en tout cas ce que Matthieu y transmet, en plus de son savoir-jardiner.
En prenant soin de bien fermer le portillon, nous prenons la direction du jardin suivant.
Jardin partagé n°3 : le jardin du Clos du Roy
Il a du 1er jardin la situation en pied d’immeuble, et du 2e jardin le caractère bien délimité (par une clôture de palettes). Serait-on face à une synthèse de nos 2 premiers cas d’études ? Pas vraiment… Comme pour chaque jardin partagé, il a sa propre histoire. Matthieu nous explique que la majorité des habitants se sont bien approprié le jardin, comme le prouve le mobilier de récupération qui invite à s’installer et à partager un petit moment de pause.
Pourtant, sous ses apparences fédératrices et conviviales, ce jardin-là n’a pas que des amis. Matthieu nous confie comment ce projet est mal vécu par l’une des habitantes dont le balcon, en rez-de-chaussée, possède une vue directe sur le potager.
Elle exprime souvent avec colère combien la fréquentation que ce jardin génère sous ses fenêtres, « lui gâche la vie ». Jardin partagé, mais pas par tout le monde ! Nous découvrons alors que toutes les oppositions, mêmes minoritaires doivent pouvoir s’exprimer et être entendues. Matthieu doit faire preuve de tact, de patience, de douceur et de compréhension. Il doit apprendre à composer avec des situations émotionnellement difficiles, à gérer le pacte affectif qui encadre chaque projet, tout en restant positif.
Cet aspect, qu’il n’avait pas nécessairement anticipé avant d’être sur le terrain, lui donne l’occasion d’une nouvelle leçon de vie.
Enrichis par ce nouveau témoignage, nous reprenons notre marche.
Jardin partagé n°4 : le jardin tout ébouriffé
La dernière étape de notre tournée, nous conduit dans un jardin voisin de celui d’une école dans le quartier de Gustave Flourens. Un peu farceur, ce jardin-là étonne par sa grande discrétion. Invisible à l’œil de celui qui n’y prête pas attention, il est éparpillé parmi les herbes folles. Et trouver les plantations disséminées relève de la chasse aux trésors. Pourtant, c’est exactement ainsi que l’ont voulu les habitants. Et c’est aussi le travail de Matthieu que d’aider chaque collectif à révéler le jardin qui lui ressemble…
Un jardin qui s’égaille ? Pourquoi pas ! Même si ce désordre apparent est largement compensé par une organisation minutieuse et une anticipation que nous n’aurions pas décelée au premier abord. En effet, nous découvrons, en marge du terrain, la pouponnière à plants, que les habitants ont choisi d’installer dans une ancienne boutique mise à leur disposition à cet effet.
Bien au chaud, avant que le printemps n’autorise à mettre les plants en terre, on prépare ici les semis prometteurs des récoltes à venir. De cette ultime visite en compagnie de Matthieu, nous retenons qu’un jardin partagé, peut être libre et bien organisé à la fois !
Écopôle alimentaire de la Chaponnière : Chapeau la « chapo » !
Au terme de cette excursion urbaine, nous tournons le dos à la ville, direction l’écopôle alimentaire de la Chaponnière, à quelques kilomètres au sud-ouest de Vierzon. Lorsque nous quittons la Départementale, nous pénétrons dans un monde à part, une sorte de « bulle de campagne » d’un autre temps. Ce domaine-là porte les traces de ses vies successives : meunerie, centre d’activité de loisirs et de vacances pour les jeunes… Un temps, on envisagea d’en faire un hôtel mais c’est finalement à la Régie de territoire que la municipalité propriétaire a confié le lieu, pour en faire un pôle d’écopâturage d’abord, puis de maraîchage biologique, social et solidaire ensuite. Ici, des serres immenses nous font la haie d’honneur, l’imposant corps de bâtiment principal dialogue avec une cohorte de dépendances disparates, tandis qu’un joyeux bric-à-brac de bâches, d’arceaux et de ferraille trahit l’activité intense qui règne en ces lieux.
À notre arrivée, c’est une autre fourmilière qui s’active déjà : celle de l’installation des stands du marché nocturne annoncé pour le soir, comme chaque vendredi de l’été.
Mais déjà Jean-Luc Birski, directeur de la Régie de territoire et initiateur du projet d’écopôle, sonne l’heure de la visite du domaine. À travers champs, il parle du projet avec une passion communicative et une force de conviction hors du commun.
Ici, à Vierzon, le combat pour la démocratie alimentaire n’est pas une utopie : il est en marche ! Et c’est par la relocalisation de la production, notamment via l’insertion par le maraîchage, qu’elle passe.
Nous comprenons que l’alimentation durable dépasse largement sa fonction nourricière première : elle a des implications sur la santé, sur l’environnement : c’est un enjeu global de société !
La question de la problématique alimentaire devrait être au cœur de tous les territoires.
Les mots de Jean-Luc sont de véritables dopants pour notre envie d’agir. Nous les consignons précieusement comme des mantras à convoquer d’urgence, dans les moments creux, où la confiance s’émousse.
Une autre rencontre insolite ajoute encore à notre enthousiasme : celle des biquettes qui pâturent à proximité avec gourmandise et insouciance, complétant à merveille ce tableau idyllique d’une fin d’après-midi champêtre et bucolique !
La soirée se profile alors. Nous prenons congés des brouteuses et passons du potager au marché, avec ses stands et ses étals minutieusement dressés. Parmi ceux-là, nous retenons notamment :
Le stand du Porte-Voix Alain Bouquin (élu à la citoyenneté à la Ville de Bourges), Chloé Hazard et Laurence Léger-Gardant (du pôle citoyenneté de Bourges), autour du photomaton nomade « Marianne arrive en ville » : un dispositif photographique pour revêtir le bonnet phrygien et brandir sa plus belle devise Républicaine ;
Le stand des maraîchers de la Chaponnière, avec vente des légumes produits sur place entouré d’artisans et producteurs, pour faire du lieu un (vrai) marché et même un peu plus : rapprocher les publics « urbains » des productions « rurales » et inviter d’autres acteurs à de futures coopérations.
… sans oublier notre « accélérateur d’engagement citoyen », le jeu que nous avons créé avec la Particule citoyenne du Gâtinais-Montargois. L’occasion, pour nous, de tester ce dispositif ludique sur l’engagement citoyen en situation réelle, avec des vrais gens. L’occasion aussi, de faire la rencontre de nouveaux « cas intéressants » de citoyens engagés, susceptibles de rejoindre notre galerie de situations « C’est arrivé près de chez vous ».
Avec ce marché nocturne de la « Chapô », cette journée dense et mémorable s’achève sur un air de fête, entretenu par les parfums de la cantine nomade et les mélodies des musiciens mobilisés pour l’occasion.
Sur la route du « re-Tours », nous profitons de la douceur de la fin de soirée, bercés par les bonnes ondes reçues tout au long de la journée. Nous savons déjà que cette visite inspirante est à classer au rayon des visites mémorables.
Et l’on se dit qu’à Vierzon, le « Quartier fertile » labellisé par l’ANRU n’a jamais si bien porté son nom !