Publié le 2 septembre 2021

La mobilité des adolescent·es de quartiers populaires – Retour sur le Libre cours #4

Pour cette quatrième édition (en ligne – 17 juin 2021), Libre cours a donné la parole à Nicolas Oppenchaim, sociologue au laboratoire CITERES et maître de conférence à l’Université de Tours.

Les professionnel·les engagé·es dans les quartiers de la politique de la ville ont eu l’occasion de s’interroger sur la mobilité des adolescent·es des quartiers populaires : quelles sont leurs pratiques de la mobilité ? Quel rôle joue-t-elle dans leur socialisation ? Quels sont les facteurs bloquants ou à l’inverse facilitants ?

Représentation du quartier et occupation de l’espace public : attention aux angles morts !

L’intervenant a d’abord porté son regard sur l’influence des catégories de l’action publique sur notre perception et occupation de l’espace, dans et en dehors du quartier. L’idée que le quartier soit posé comme la cible d’une action publique (notamment dans le champ scolaire et professionnel) revient à considérer que cet espace est un problème en soi. Cette idée traverse inévitablement nos représentations, notre pratique de la mobilité mais aussi celles des habitant·es. Nombre de travaux témoignent d’ailleurs de l’absence de mixité résidentielle des quartiers à l’aune de leurs conséquences négatives sur les habitant·es et notamment chez les jeunes. Autrement dit, grandir dans un quartier ségrégué pourrait avoir une influence négative sur la socialisation des adolescent·es, notamment en termes de pratiques professionnelles (manque de réseau, discrimination à l’embauche liée à l’adresse). 

Nicolas Oppenchaim nous a rappelé qu’il ne fallait cependant pas perdre de vue la diversité géographique et sociale des quartiers prioritaires qui ne constituent pas un tout homogène. Si certains sont bien desservis par les transports en commun, d’autres le sont moins. De même pour les taux de chômage qui peuvent être très différents d’un quartier à l’autre. Et de la même manière, les adolescent·es des quartiers n’ont pas le même sexe, sont issus de milieux sociaux très différents, avec des trajectoires résidentielles et scolaires différenciées, un rapport différent aux institutions… 

Autre angle mort : le quartier n’est pas le seul espace d’incorporation des habitudes de ces adolescent·es. S’ils acquièrent des habitudes et représentations du monde dans leur quartier, ils s’en forgent aussi en dehors, à travers leurs déplacements : Vivre dans un quartier ségrégué ne signifie pas nécessairement une absence de fréquentation du reste de la ville1”.

1 Nicolas Oppenchaim, « Les fonctions socialisantes de la mobilité pour les adolescents de zones urbaines sensibles : différentes manières d’habiter un quartier ségrégué », Enfances Familles Générations [En ligne], 19 | 2013, mis en ligne le 31 décembre 2013 – URL : http://journals.openedition.org/efg/1658

“Est-ce nécessairement une bonne chose de se déplacer à l’adolescence ?”

La mobilité joue un rôle primordial à l’adolescence et ce, quel que soit le territoire de résidence. Elle symbolise à la fois l’autonomie, l’occasion d’échapper à la tutelle des adultes, un moment privilégié entre pairs ; et la mise à l’épreuve (réussie ou difficile à surmonter) à travers la confrontation aux citadins et à des espaces méconnus. 

La socialisation expérimentée au sein de son quartier de résidence et la fonction socialisante de la mobilité nourrissent les pratiques et les habitudes des adolescent·es. En flânant ou en empruntant les transports en commun, ces derniers traversent ces espaces de différentes manières. Ils peuvent tout aussi bien percevoir une forme d’hostilité lors de déplacements en groupe, se confronter à l’inattention civile des citadins et jouer avec les codes sociaux des espaces publics, tout en ayant conscience du stigmate qu’ils peuvent renvoyer.

Est-il pour autant nécessaire de quitter son quartier pour s’épanouir et être intégré socialement, professionnellement ? L’ancrage (plus ou moins fort) dans le quartier représente-il quelque chose de négatif ? Nicolas Oppenchaim nous met en garde contre une vision idéologique de la mobilité. Réfléchir en termes de potentiel de mobilité permet de prendre en compte la capacité des individus à se déplacer et non pas de se limiter à leur déplacements effectifs. Les potentiels de mobilité des adolescent·es sont liés à des variables sociales et de genre, ainsi qu’à des dispositions acquises dans la famille et au sein du quartier. L’intervenant a ensuite illustré ces potentiels de mobilité, très différents en fonction de la classe sociale, du genre et du territoire de résidence. Il a pris l’exemple des déplacements liés aux activités extrascolaires : les jeunes des quartiers prioritaires pâtissent de la moindre disponibilité de leurs parents pour les emmener pratiquer une activité. Pour cause, le revenu des habitant·es et le nombre de voitures y sont plus faibles qu’ailleurs. S’ajoute à cela une surreprésentation de familles monoparentales, frein potentiel dans la disponibilité du parent. 

Zoom sur le potentiel de mobilité des jeunes filles

Quel que soit leur lieu de résidence, les jeunes filles subissent davantage la moindre disponibilité de leurs parents à les accompagner dans leurs déplacements. Si elles disposent d’une certaine autonomie jusqu’à la puberté, leur pratique de la mobilité change à partir de 11-12 ans. En deçà de la puberté, elles bénéficient d’une représentation sociale qui les associe à plus de prudence que leurs homologues masculins. À partir de 11-12 ans, les mobilités des jeunes filles sont plus contrôlées et ce, à plusieurs niveaux : à travers leur manière de s’habiller, leur limitation dans les heures de sortie et une forme d’anticipation sur des espaces qu’elles jugent insécurisants. Les normes que leurs parents leur ont transmises ont été intériorisées par les adolescentes qui appréhendent l’espace public avec plus d’inquiétude que leurs homologues masculins.

Ce constat fait écho aux réflexions menées par le groupe pilote égalité filles-garçons des Cités éducatives. Le 27 mai dernier, Villes au Carré et l’Observatoire Régional de l’Intégration et de la Ville (ORIV), animateurs du groupe pilote national, ont accueilli Edith Maruéjouls* dans le cadre du Printemps des Cités, piloté par l’ANCT et la DGESCO. La géographe a souligné l’inégale fréquentation des espaces entre les hommes et les femmes : une manière différente de “pratiquer” la ville, renforcée par la crainte de l’extérieur, plus forte chez les femmes que chez les hommes. 

L’intervenante s’est aussi exprimée sur l’enjeu de citoyenneté consacré à l’espace public et aux espaces scolaires. Ce sont des espaces d’agora et de discussions. Ils déterminent notamment la manière dont la rencontre filles-garçons préfigure ce que nous serons quand nous serons adultes. Ces espaces disent quelque chose de soi, de son auto-organisation, de sa capacité à rencontrer l’autre. Il est aussi fonction de ce qui le dessine, des structures environnantes (centres sociaux, habitants, terrains de jeux…). 

 *Docteure en géographie, fondatrice de L’ARObE, bureau d’études spécialisé sur les questions d’égalité genrée dans les espaces publics (notamment cour d’école, espace de loisirs des jeunes…).

  • Replay de l’intervention :



Libre-cours est un format de rencontres avec des chercheurs·es ou des expert·es convié·es à partager leurs travaux ou leurs analyses sur les grands sujets qui traversent notre société et interrogent le vivre ensemble. Nées il y a 3 ans, en accompagnement du réseau régional des formatrices et formateurs du plan « Valeurs de la République et Laïcité », animé par la DREETS Centre-Val de Loire, ces rencontres sont ouvertes à tous les acteurs de la politique de la ville (élu·es, professionnels des services de l’État, des collectivités ou d’associations, les bailleurs sociaux, les bénévoles et citoyens engagé·es … ).


Retrouver les synthèses des précédents Libre-cours 

Contacts

  • Marie-Noëlle PINSON, directrice adjointe – Villes au Carré 
    • marienoelle.pinson@villesaucarre.org – 07.69.31.82.48
  • Anne GAUVIN, assistante d’études et de projets sur la Politique de la ville – Villes au Carré
    • anne.gauvin@villesaucarre.org – 07.68.23.08.64

   avec l’appui de 

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